Un canal.Texte de Pascal de Gossellin.16

Publié le 9 Juillet 2014

Ils naviguèrent ainsi plusieurs jours. Ils n’avaient plus de quoi manger, mais ils n’avaient toujours pas faim, comme s’ils n’avaient plus besoin de manger pour vivre.

Maintenant, ils se laissaient faire. On ne pouvait pas parler de fatalisme, ce qui implique une impression d’échec, de dépit, de résignation. Non, ils étaient au contraire de plus en plus sereins, même sans savoir où ils allaient ni pourquoi ils y allaient.

 

Le quatrième jour après le pont-canal, devant eux, une barrière noire mit fin au champ de blé. En approchant ils virent que le canal s’enfonçait dans une forêt. Au début elle était claire, lumineuse presque, il y avait des couleurs partout, des fleurs sur les lianes, ce qui changeait du gris bleuâtre du blé. Ils eurent envie de courir sous les arbres, mais les chevaux étaient intraitables : l’heure n’était pas venue pour eux de se reposer.

Plus ils s’enfonçaient dans la forêt, plus les lianes devenaient envahissantes. Si envahissantes qu’elles finirent par former un véritable tissu végétal, un grand manteau qui recouvrait le canal formant une voûte, un tunnel. Petit à petit une nuit tomba. Une nuit parce qu’il leur fut impossible de dire si c’était la nuit du ciel ou la nuit des lianes.

Même si la péniche allait toujours de l’avant, ils ne voyaient plus les chevaux ; ils n’entendaient plus que le timbre des fers sur les pierres du chemin. Petit à petit, ce bruit s’estompa, pourtant les chevaux tiraient toujours ; puis le silence devint total et les cordes glissèrent dans l’eau : elles pendaient maintenant du petit mât, molles et inutiles. Ils pensèrent que leurs percherons étaient partis se reposer dans une cabane invisible, comme tous les soirs.

Comment avaient-ils pu se détacher eux-mêmes des cordes fixées à leurs attelles, et pourquoi la péniche continuait-elle à s’enfoncer, d’elle-même, dans le tunnel forestier ?

  • Il faudrait remonter les cordes, elles vont se prendre dans l’hélice, dit Bellestre avec une indifférence qui ne lui ressemblait pas !

Suzanne le regarda et, comme on parle à un enfant :

  • Voyons, Maurice, nous n’avons plus de moteur…

Etienne, par habitude, regarda sa montre, elle s’était arrêtée. A bord, tout ce qui pouvait indiquer l’heure ou le jour était maintenant hors d’usage !

 

En fait depuis plusieurs jours ils ne dormaient plus et maintenant, tous les trois, ils regardaient sans cesse droit devant, comme des gens qui attendent quelque chose ou quelqu’un.

 

Dans un tunnel il y a toujours un bout, c’est en tous cas ce que l’on croit.

Ce tunnel là fit comme les autres : une heure, un jour, une semaine plus tard, comment savoir, ils devinèrent un point lumineux loin dans l’horizon noir qui les entourait. Il grossit peu à peu et bientôt il ressembla à un gros rond tout blanc qui les éblouissait.

  • Nous allons sortir de là, murmura Bellestre avec une voix sans timbre que Suzanne ne reconnut pas.

 

Une fois encore ne s’étaient-ils réjouis trop vite, car la péniche avançait de plus en plus lentement ?

Au moment où allaient déboucher dans la lumière, elle était presque immobile et on aurait pu croire qu’elle allait entrer dans une écluse particulièrement difficile.

Derrière le hublot lumineux qui grandissait, ils ne voyaient rien.

 

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Rédigé par Le blog sur Chatillon sur Indre

Publié dans #Ecrivain et romancier de Chatillon

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