Petit conte moral et citadin.Premiere partie
Publié le 17 Juin 2016
Petit conte moral et citadin
Il y a bien longtemps, le long d'un fleuve, éloignées de quelques lieues, deux villes s'observaient. La première était bâtie à flanc de coteau et se nommait Marcheventre, la seconde érigée sur un piton rocheux, se faisait appeler Châtel-le-Val. Chacune de ces villes s'enorgueillissait d'un château et d'un donjon, mais ces châteaux et ces donjons, abandonnés depuis des lustres, menaçaient ruine. Il faut dire que de mémoire de villageois, aucun duc, comte ou baron n'avais jamais résidé en ces lieux. Les deux villes vivaient là, ignorées du monde. Un jour le bourgmestre de Marcheventre décida d'inspecter le château et le donjon de sa ville : il vit que les pierres jonchaient le sol, que des trous béants déchiraient les toitures, que les fenêtres à meneau pleuraient leurs orbites vides. La tristesse envahit cet homme de devoir. A son retour, le bourgmestre réunit les Marcheventrus et leur dit : – Je viens de monter jusqu'au château et au donjon : ils sont en piteux état ! Nos ancêtres les ont construits pour nous, pour assurer notre défense, et nous les avons laissés à l’abandon. Les habitants gardèrent le silence et le bourgmestre repris : – Si chacun d'entre nous voulait partager une partie de son bien, une partie de son savoir et de son travail, peut-être alors pourrions les sauver tous les deux ! Un homme qui avait une carrière de pierres dit : – je peux donner des moellons. Un homme qui avait un bois dit : – Moi je peux vous fournir des grumes. Un autre prit la parole : – Moi je suis charpentier, je peux en faire des poutres et des solives. Tous se manifestèrent, qui pour transporter les pierres et le bois avec son tombereau, qui pour maçonner, qui pour menuiser, qui pour donner à manger à tout le monde.
Le bourgmestre,
les remercia et pensa qu'il avait bien de la chance de vivre au sein de cette communauté si urbaine. Peu de temps après, à son tour, le bourgmestre de Châtel-le-Val entrepris la même inspection dont le résultat fut tout aussi inquiétant, mais seule la résignation se lut sur le visage de cet homme de peu de conviction. Malgré tout, le bourgmestre se décida lui-aussi à réunir ses Chatelvalliens. – Je me suis promené autour de notre château et de notre donjon, leur état m'inspire une réelle inquiétude. Les villageois ne dirent rien et le maire poursuivit : – Pensez-vous que nous puissions faire quelque chose pour les sauver de la ruine ? Un homme dit : – il faudrait des pierres, j'ai bien une carrière mais je ne peux rien donner, j'en ai besoin pour réparer le mur de mon jardin. Un autre ajouta : – Il faudrait du bois pour la charpente, j'ai une petite futaie mais elle suffit à peine à me chauffer l'hiver. Un dernier renchérit : – Je suis charpentier, mais j'ai trop de travail et mon temps c'est de l'argent…
Après quoi
chaque Chatelvalliens rentra chez lui. Dans l'année qui suivit, le chantier autour du château et du donjon de Marcheventre alla bon train. Certains jours il ressemblait à une ruche au printemps. Les pierres tombées furent replacées, des moellons tout neufs furent ajoutés là où ils manquaient, les poutres vermoulues furent changées et des ardoises angevines vinrent colmater les brèches de la toiture, chaque fenêtre à meneau reçut une croisée toute neuve avec des verrières plombées. L'été, le soleil couché, on dressait au pied des murailles une longue table de bois autour de laquelle chaque travailleur s’asseyait, une procession de mets de toutes sortes montait alors de la ville d'en bas pour les rassasier. Souvent des trouvères venaient jouer et chanter pendant ces repas, des repas de fête. Après dix-huit mois, le travail fut achevé, les ruines restaurées. Rien ne restait du chantier, sauf un fois l'an, un grand banquet sous les étoiles pour se souvenir du travail qu'on avait eu plaisir à faire. Pendant tout ce temps, la vie continuait à Châtel-le-Val, morne et terne, au pied des ruines immobiles qui dominaient la ville. Seuls les chutes de pierres par grosse pluie ou fort dégel, ou le vol de quelques ardoises par grand vent, rompaient la quiétude du lieu et dérangeaient les choucas des tours qui y avaient élu domicile. .................
Pascal de Gosselin