Langage du chant des oiseaux , cris des quadrupèdes en berrichon
Publié le 7 Février 2012
L'esprit éminemment observateur de nos paysans, joint à leur amour du merveilleux, les pousse sans cesse à étudier tous les phénomènes naturels qui s'accomplissent sous leurs yeux.
Il faut bien que le travail incessant auquel est assujetti leur corps ne nuise
aucunement à l'activité de leur pensée, car, astronomie, météorologie, médecine, botanique, ou sciences occultes, tout est de leur ressort.
Ils vont même jusqu'à s'occuper de l'interprétation du chant des oiseaux et des cris des quadrupèdes.
Voici de quelle manière ils traduisent le langage de quelques-uns des animaux avec lesquels ils sont le plus habituellement en relation.
Le chant de la poule, au moment de sa ponte, s'interprète ainsi :
J'ponds, j'ponds, j'ponds, j'ponds pour Jacques !
Jacques désigne ici le peuple, la masse des travailleurs, le bonhomme Jacques du Moyen Age.
Au mois de mai, lorsque la caille trouve difficilement à se garnir l'estomac, elle va répétant :
Caille ! caillé !
j'ai un sa (sac), j'ai pas de blé !
Au mois d'août, lorsqu'elle serait à même de faire des provisions, elle chante :
Caille ! cailla
J'ai du blé, j'ai pas d'sa !
D'aucuns, et ce sont d'ordinaire les prêteurs d'argent, affirment que la caille dit tout simplement :
Paie tes dettes !
Paie tes dettes !
Mais les mauvais payeurs ajoutent que le canard alors demande :
Quand ? quand ? quand ?
et que la brebis répond :
Jamais !
La caille, en chantant, répète plus ou moins de fois :
Caille ! cailla !
Or, on prétend que le nombre le plus élevé de ces répétitions indique, à l'avance, le nombre de francs que coûtera, par boisseau, le blé qui est sur terre.
La chanson un peu confuse du touin ou pinson ne signifie pas autre chose que :
Si j'avais du sel,
j'mang'rais d'la chicorée !
Le loriot, que nous appelons garde-veaux, sans doute parce qu'il hante les vallées où paissent souvent ces jeunes animaux, va toujours disant :
Pour du begaud !
J'gard'rai tes veaux !
note : Le begaud est le petit lait
Le Compost des bergers, vieil almanach à l'usage des campagnes, composé sans doute par quelque bon moine, fait dire au loriot :
Confiteor Deo !
et la consonance de ces deux mots latins s'adapte beaucoup mieux à certaines notes du chant de cet oiseau que les paroles que nous lui prêtons.
Dans les premiers jours du printemps, le merle, préoccupé du sort de sa précoce couvée, que protègent mal encore les cépées sans feuillage de nos jeunes taillis, exprime ainsi ses inquiétudes :
Laboureux ! laboureux !
En cherchant tes boeufs,
Tu trouverais bien mes oeufs !
L'ortolan - les gastronomes ne s'en doutent peut-être pas - niche dans beaucoup de nos vignes.
C'est ce monotone chanteur que nos vignerons nomment Binetu, appellation qui est un reflet de la série de notes que fait entendre l'oiseau ; phrase d'excitation que le travailleur indolent accepte, à ce qu'il paraît, comme le conseil de la nature, car il ne faut pas oublier que le binage est une opération de la culture de la vigne.
Ainsi quand l'ortolan chante, il semble qu'il dise au vigneron:
Bines-tu ? Travailles-tu ?
Nos cultivateurs trouvent encore une sage exhortation dans le chant de la tire-arrache (la rousserole), espèce de grive qui vit dans les roseaux, où elle ne cesse de se démener en répétant nuit et jour :
Tire ! tire ! arrache ! arrache ! tire ! arrache !
L'un des plus jolis couplets de la chanson du rossignol est ainsi interprété :
Sue, sue, sue,
La bourrique, la bourrique !
Nous avons souvent entendu raconter dans notre enfance un vieux conte dont nous regrettons de ne plus retrouver de traces ni dans notre mémoire, ni dans celle de nos contemporains, et où ces mots : Sue, sue, la bourrique ! revenaient à plusieurs reprises. Autant que nous pouvons nous souvenir, dans cette légende, qui avait un sens sérieux que nous étions loin alors de saisir, le rossignol représentait l'homme de loisir, peut-être l'artiste, et se raillait de la bourrique, qui semblait jouer le rôle du prolétaire ou de l'artisan.
Le pivert, que nous nommons l'avocat du Meunier, parce que nous croyons que l'un de ses cris appelle la pluie, annonce les crues d'eau qui font tourner les moulins, en criant le long des écluses ou des biefs :
Pleue ! pleue ! pleue ! c'est-à-dire : Pluie ! pluie ! pluie !
L'alouette, qui s'élève en chantant vers le zénith, est souvent une âme qui se rend en paradis, et, si l'on s'en rapporte au savoir de ceux qui sont versés dans les langues ornithologiques, ce qu'elle chante en ce moment n'est autre chose qu'une prière qu'elle adresse à saint Pierre, et dont voici le sens :
Pierre, laisse-moi entrer,
Jamais plus ne faut'rai !
Jamais plus ne faut'rai !
Si l'alouette ou l'âme, après s'être perdue dans l'éther, ne reparaît plus à vos yeux, c'est qu'elle a été admise dans le séjour des élus.
Si, au contraire, vous la voyez redescendre, faites bien attention à son chant ; vous ne lui trouverez plus l'accent contrit et suppliant qu'il avait tout à l'heure ; car l'alouette à laquelle saint Pierre a refusé l'entrée du paradis, parce qu'elle a trop péché, s'en revient en chantant d'un ton colère et dépité :
J'faut 'rai ! j'faut'rai ! j'faut'rai !
note : Nous disons fauter pour pêcher, faire une faute, un pêché.
Quelques-uns de nos truchemans prétendent que l'alouette, en cette circonstance, chante tout simplement ce couplet philanthropique :
J'prie Guieu (Dieu), j'prie Guieu,
Pour le riche et pour le gueux."
source:http://trad95.free.fr/berry