Un canal.Texte de Pascal de Gossellin.2
Publié le 9 Juillet 2014
puis dans une autre. Aujourd’hui il ne regardait plus que le panneau des « sans qualification ».
Il essaya de téléphoner sur le trottoir même de la rue de Bercy : sur messagerie, évidemment ! Il laissa ses coordonnées pour qu’on le rappelle : si le marinier était toujours intéressé, le téléphone d’Etienne, lui, serait toujours ouvert. De son pas amorphe, il remonta le boulevard de Bercy jusqu’à la station de métro Dugommier et entra dans un café aux murs presque noirs, seuls brillaient deux flippers et le zinc cuivré du bar. Il s’assit à une table où ils étaient déjà trois, trois copains : il connaissait tout le monde et le patron lui apporta son coca sans rien demander. En hurlant à cause de la sono à fond :
- Je vais peut-être partir sur une péniche !
Il ne dit pas ça parce qu’il le croyait, mais pour se rendre intéressant, épater les autres qui resteraient là, à gâter leur jeunesse dans Paris.
Il n’épata personne : Jeannot constata :
- Mais ça va être la galère, jamais au même endroit, et puis pas de ville, que de la brousse. Je parie qu’ils ne connaissent même pas le rock ! on voit bien que t’es un bosseur, toi !
Tous riaient.
C’est vrai que parmi la bande du café, il était le seul à accepter des petits boulots, des remplacements de quelques jours, il n’aimait pas traîner comme eux.
Son portable vibra dans son jeans, il sortit dans la rue.
C’était le marinier. Il n’avait toujours personne en vue, ils étaient à Vernon, ils devaient monter la Seine jusqu’à Poissy pour décharger et seraient au quai de Bercy dans deux jours. Qu’il soit là vers trois heures de l’après-midi, il lui montrerait le travail. La péniche s’appelait « La Clotilde ».
Il voulut rentrer au café pour leur dire, mais un flot de musique mi Rapp mi Techno débordait sur la rue. Il préféra rentrer chez lui.
Tinny n’avait pas pour habitudes de partir ainsi : cette ambiance, cette musique, c’était sa vie avec ses copains, un petit monde qui était le sien, peut-être pas très reluisant, tant pis !
Mais en cette fin de matinée voici que tout à coup il se sentit un peu bizarre, les choses lui semblaient avoir changé autour de lui. Il regardait le boulevard, la ville, d’une drôle de façon, tout devenait nouveau, trop animé et trop figé à la fois. Il préféra retourner dans sa chambre au fond d’une cour du faubourg Saint-Antoine.
Là non plus, il ne se sentait plus chez lui. C’était diffus, impalpable mais la chambre lui paraissait trop grande, il s’y sentait perdu. Par contre quand il regardait dehors, il trouvait la cour pavée, exiguë, sans perspective, l’atelier fermé d’un ébéniste parti depuis si longtemps que personne ne l’avait connu, écrasait
plus encore le paysage de sa fenêtre. Il se sentait enfermé dans une bulle trop grande au cœur d’un cube trop étroit.
Il sortit s’acheter une pizza à la « Baraque à Mario » toute proche. Il préféra l’engloutir sur un banc plutôt que la manger chez lui. Il marcha ensuite au hasard, cherchant un petit bar où le coca ne serait pas trop cher. Rue de Lyon, il passa devant une sorte de bistrot à la peinture toute écaillée. Sur la vitre de la porte qu’il poussa il y avait un vieil autocollant marqué Clacquesin sur un fond de petits sapins jaunes et rouges. Ce n’est qu’une fois assis à une table, qu’il vit sur une ardoise le nom du café : l’Avalant Il se demanda d’où venait ce nom bizarre. Etienne se rendit compte alors qu’il n’y avait pas un seul client comme lui. La plupart étaient
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