Un canal.Texte de Pascal de Gosselin.5

Publié le 9 Juillet 2014

Maintenant la brume s’était levée, le ciel et l’eau étaient bleus, les bateaux avaient la coque noire et les superstructures de couleurs variées. Il y en avait de toutes les formes. Etienne fut surtout impressionné par les pousseurs et leurs barges, vides ou pleines de sable ou de voitures neuves. Il fut intrigué par quelques péniches accouplées, comme si l’une était en panne ou voulait se faire véhiculer à l’œil. Les citernes pleines de produits pétroliers qui naviguaient si bas sur l’eau que le pont se trouvait balayé par la moindre vague, lui firent peur.

 

Comme il était bientôt l’heure de déjeuner, il revint vers l’Avalant. Il marchait lentement, car il n’avait pas faim, la poitrine serrée par la proximité de son rendez-vous de l’après-midi : il revenait vers le bistrot par l’habitude, peut-être parce qu’on l’y attendait.

 

Il est vrai que depuis ces deux jours, les patrons du café lui parlaient comme s’il faisait partie de leur famille, comme à leur fils qui allait embarquer sur une péniche. Il n’avait jamais connu cette ambiance là : ses parents étaient morts avant qu’il puisse se souvenir d’eux. Malgré une photo où il se voyait bébé dans le giron de sa mère, il n’avait pas de souvenir, même pas une vague impression, des  moments où l’on se sent hors du temps, où la mémoire essaie de faire remonter à la surface des choses, et qu’elle n’y parvient pas.

D’après ce que son oncle parisien lui avait dit, la voiture de ses parents avait été percutée par un bus et était tombée dans la Garonne à Marmande. Le fleuve était en crue et on ne retrouva jamais les corps.

 

C’est donc à cet oncle, sa seule famille à peu près honorable, qu’il fut confié. En réalité, il n’eut que le gîte et le couvert, et encore, à condition de le mettre lui-même. L’oncle Adrien avait quelque fortune, mais se plaisait à la dépenser avec tout ce qui portait des petites culottes et avait au moins trente ans de moins que lui. C’est ainsi qu’il dilapida son bien et celui de son neveu. Au lieu de faire les études auxquelles il était promis, il se retrouva dans un lycée technique de banlieue à réussir brillamment son BEP de mécanicien auto !

Il y a quelques mois, son oncle était mort, comble d’infortune, seul dans son lit. Etienne refusa l’héritage de dettes et trouva un petit logement tout juste salubre dans le faubourg Saint-Antoine.

 

Et voilà que dans ce café, contre toute attente, il avait trouvé des parents mariniers. Des parents et des grands frères aussi, pas très raffinés, pas très sobres, pas très propres sur eux, mais pour lesquels il existait, ce qui était nouveau pour lui.

  • Aujourd’hui, pas de vin, décréta le patron, le Maurice il n’aime pas sentir l’alcool dans l’haleine de ses gars !

Quatorze heures trente ! Ils durent le pousser dehors car Etienne semblait rivé au sol par la peur. Pourtant, des patrons il en avait rencontrés, des entretiens d’embauche, il en avait subis, mais celui là, peut-être parce que cela se passait au bord de la Seine, sur un quai, pour monter dans un bateau et y vivre, celui-là était différent, comme si sa vie en dépendait.

 

A l’heure dite, il arriva au bord du quai, une péniche était en bas. C’était une belle grande péniche toute noire et blanche, avec un liseré rouge tout au long de la coque. Devant, sur le bord de l’étrave, il lut son nom, « Clotilde ». C’est vrai que le Maurice devait être doué pour la peinture : sa péniche avait un air tout neuf.

 

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Rédigé par Le blog sur Chatillon sur Indre

Publié dans #Ecrivain et romancier de Chatillon

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