Le canal.Texte de Pascal de Gosselin.15
Publié le 9 Juillet 2014
Bellestre, en bon marinier, jeta un regard en arrière : le pont-canal était en ruine. Les lampadaires pendaient la tête en bas, des pans entiers de poutrelles s’étaient détachés, formant de larges trous dans le pont maintenant à sec. Heureusement une porte métallique empêchait l’eau du canal de se déverser dans la vallée dont le fond se perdait dans le vide.
Il était évidemment dangereux de rester là, à la merci d’une simple porte. Bellestre dit alors qu’il fallait partir et vite. Il pénétra dans le poste de pilotage : à part la barre, il n’y avait plus rien de mécanique ou d’électrique dans l’habitacle ! Comment démarrer le moteur dans ces conditions. Il appela Etienne :
- Descends dans la salle des machine et mets le moteur en marche d’en bas !
Le jeune homme remonta, effaré :
- Il n’y a plus de moteur !
Le patron n’alla même pas vérifier. Il se contenta de sortir sur le pont et de regarder son bateau : le radar Furuno qui n’avait pas cessé de tourner depuis qu’ils étaient dans le brouillard, avait disparu ; les feux électriques étaient remplacés par des fanaux à pétrole.
Les panneaux d’écoutille, maintenant en bois, étaient surmontés d’un petit mât très fortement haubané : tout était ainsi à l’image d’une péniche du siècle précédent.
Bellestre eut l’impression que le bateau dominait davantage la berge, mais ce n’était sûrement qu’une impression. Il ne put toutefois s’empêcher de soulever un panneau d’écoutille : la cale était vide, seuls des rats en grand nombre se disputaient les quelques grains de blé qui restaient.
- On nous a volé notre chargement !
Il ne se contrôlait plus : pour un marinier c’est une honte plus grande que celle de casser une porte d’écluse en entrant dedans !
Il se calma un peu : il fallait à tout prix avancer.
C’est à ce moment qu’il comprit les chevaux : c’étaient eux qui allaient haler la péniche le long du chemin. D’ailleurs, ils étaient équipés d'un harnais particulier avec une attelle de collier et une bride avec oeillères, mors droit sans rênes. Des cordes pendaient des attelles.
Il comprit aussi le rôle du mât, c’était un mât de canal : il avait étudié dans des livres de batellerie les techniques de halage des péniches à l’époque : les chevaux, conduits par un charretier tiraient la péniche grâce à des longues cordes fixées en haut d’un mât.
Ils étaient revenus au début du dix-neuvième siècle !
Par contre, il n’y avait pas de charretier, pas non plus de foin à bord.
Etienne tiendrait le rôle de charretier, même s’il avait dit qu’il ne connaissait rien aux chevaux et que même, il en avait un peu peur.
On fixa les cordes comme sur les gravures anciennes. Les chevaux s’ébranlèrent avant qu’Etienne ait eu le temps de sauter sur la berge pour les conduire : on aurait pu croire qu’ils savaient ce qu’ils avaient à faire et là où ils devaient aller.
Pour maintenir le bateau bien droit, Bellestre devait tenir la barre pour que le gouvernail reste de biais et ainsi compenser le halage latéral des chevaux.
Ils avancèrent ainsi sans répit, les chevaux semblaient infatigables. Au loin, entre champ de blé gris et chemin, une baraque en planche surgit petit à petit dans le soir. Il y avait du foin dedans. Par peur de ces chevaux bizarres – mais qu’est-ce qui n’était pas bizarre dans leur voyage ? – ils détachèrent les cordes du mât. Les chevaux entrèrent dans la cabane pour la nuit, les cordes pendant dans l’eau.
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