Un canal.Texte de Pascal de Gossellin.14
Publié le 9 Juillet 2014
Suzanne demanda pourquoi.
Pour ne pas l’inquiéter davantage Bellestre préféra répondre qu’au bord de l’étang il y avait à coup sûr une autre porte, une écluse, une rivière ou même un fleuve qui leur permettraient de poursuivre leur route.
Il suffisait d’en faire le tour, ni trop près de la rive pour ne pas s’échouer, ni trop loin pour voir. Le cabotage se poursuivit toute la matinée. Inlassablement, sans aucune trouée, la barrière de roseaux défilait le long du plat-bord de la péniche. Enfin ils aperçurent une porte, mais il s’agissait de la porte doublée de moellons qui maintenant leur faisait peur, comme ce qu’on ne comprend pas.
- Nous n’avons pas bien regardé autour du lac…
Ils naviguèrent ainsi tout le jour en repassant à chaque tour devant la porte murée.
- Comme on ne peut pas s’approcher du bord, il va falloir mouiller au milieu pour la nuit.
Et ils jetèrent les deux ancres.
Au soir, tous les trois s’assirent autour de la table vide. Il n’y avait plus rien à manger que des gâteaux secs dont personne ne voulait, ils ne dirent plus rien puisqu’il n’y avait plus rien à dire. La télévision restait vide et il n’y avait toujours pas de réseau pour le téléphone.
- On n’est pourtant plus dans une vallée, pensa Etienne
Il monta sur le pont fumer une cigarette.
C’est alors qu’il se mit à crier :
- Venez voir, vite !
Au loin, de l’autre côté de l’étang, il y avait des lumières !
Il fallait faire vite, démarrer le moteur, remonter les ancres avec le barbotin et naviguer en direction des lumières. En approchant ils se rendirent compte que les lumières formaient une véritable allée avec des lampadaires sur deux rangs.
La péniche pointa bientôt la proue à l’entrée d’un pont-canal. Les deux premiers lampadaires de style Napoléon III surmontaient chacun un obélisque de part et d’autre du chenal.
- Le pont-canal de Briare, comment sommes nous arrivés là, je n’en sais rien, mais je le connais bien, c’est le pont-canal de Briare et bientôt nous allons apercevoir les lumières de la ville !
Ils eurent tous les trois envie de s’embrasser, le cauchemar était fini !
Au bout d’une demi-heure, ils naviguaient toujours sur le pont.
Bellestre commençait à se poser des questions :
- Il fait moins de sept cent mètre, ce pont, on devrait être au bout.
Pourtant on avance bien constata-t-il en regardant filer les trottoirs rivetés et les lampadaires.
Toute la nuit ils traversèrent le pont qui semblait ne pas avoir de fin. Ils se relayaient pour surtout ne pas s’arrêter, car à nouveau ils avaient peur.
Pas une seule fois ils n’aperçurent de lumières autres que celles de l’ouvrage fluvial.
Lorsque le soleil se leva, les lampadaires s’éteignirent et ils virent la fin du pont. Exténués, ils rangèrent la bateau côté chemin de halage, sans même l’amarrer : que pouvait-il bien leur arriver maintenant ?
Ils dormirent d’un sommeil de brute jusqu’à plus de midi.
Au réveil, le brouillard les avait enfin quitté. Il laissait apparaître une plaine d’une platitude absolue, un champ de blé bleuâtre qui se perdait à l’infini, traversé par un canal, leur canal. Devant le blé, sur le chemin de halage, deux percherons pommelés semblaient attendre.
Tous droits réservés. Reproduction interdite sur tous supports actuels ou futurs sans l'accord de l'auteur.