Un canal.Texte de Pascal de Gosselin.8
Publié le 9 Juillet 2014
- Si tu as besoin de quelque chose, tu le dis, du lavage, du raccommodage, c’est moi qui fais tout ça ici, pour tout le monde sur le bateau.
Le jour baissant, il fallait trouver où s’amarrer. En général, sur la Seine, avant ou après les écluses, des pontons avec des pieux de béton sont prévus, mais ils étaient déjà occupés et il fallut se mettre en double, côte à côte avec la première péniche. Etienne pensa qu'ils n’allaient pas être chez eux, il n’osait pas penser, chez moi. Mais il se trompait : les mariniers sont discrets, même quand ils ont un peu trop bu : après quelques mots échangés sur le fleuve et les travaux aux écluses, sur d’autres mariniers qu’ils connaissaient tous les deux, chacun rentra chez soi manger la soupe. Les femmes se firent seulement des sourires « entre voisines », pas davantage.
Ils étaient maintenant tous les trois autour de la table du carré. Les assiettes étaient posées sur une toile cirée à fleur. La gazinière lui faisait chaud dans le dos. En dehors de la télévision que le patron ne regardait pas, chacun mangeait en silence. Pourtant ce silence était chaleureux, le silence de gens qui se connaissent, qui s’apprécient ou qui commencent à se connaître, qui n’ont pas besoin de parler pour s’exprimer. Etienne se sentait en famille, plus intimement qu’à l’Avalant, peut-être à cause de la petitesse de la pièce et du bouillonnement du fait-tout, derrière lui, sur la gazinière.
Le voyage se poursuivit le lendemain d’écluses en écluses, de villes en villes qui vues de l’eau ressemblaient plus à de gros villages : Corbeil, Melun, Moret. La rive gauche était plus pentue et ont y avait construit de belles grandes maisons de style normand, au milieu de pelouses à l’anglaise fraîchement tondues. Le bateau passait ainsi sans coup férir de débarcadères d’usine en parcs cossus.
La péniche vide allait bon train : avec son faible tirant d’eau, elle dominaient la plupart des bateaux qu’elle croisait ou qu’elle trématait[1]. Dans une grande ligne droite, Bellestre appela Etienne :
- Au toi le macaron !
Avec les consignes d’usage :
- Ne donne que des petits coups, attends un peu, car un bateau ça met toujours du temps à réagir. Après, tu corriges la trajectoire si besoin.
Quand un autre vient en face, tu peux le croiser à bâbord ou à tribord. Comme tu débutes, laisse-le décider.
Et puis, tu as vu ces canoës qui s’amusent à ne s’écarter de l’étrave qu’au dernier moment. Tu les cornes et tu fais comme si ils n’étaient pas là. Quant aux pénichettes de plaisanciers, tu les doubles au plus près, ça ne leur fera pas de mal d’être un peu secouées, ajouta-il en riant.
- Ah oui, encore une chose, ne pousse pas l’hélice, le bateau est vide et elle battrait l’air. Comme mécano, tu devines que ça ne serait pas bon pour le moteur.
Puis Bellestre le laissa seul... Enfin presque : du pont il jetait un coup d’oeil à bâbord puis à tribord, sans cesse en vigie !
La première angoisse passée, Etienne, prit la mesure de la péniche et de la barre. Il croisa plusieurs bateaux et un pousseur avec ses barges.
Le soir, il fallut faire étape à Saint-Mammès : se ravitailler en carburant sur la Seine en face du village, puis se rendre à la bourse d’affrètement pour confirmer le chargement de blé qu’ils allaient prendre à Montereau. Quand ils arrivèrent à la
Tous droits réservés. Reproduction interdite sur tous supports actuels ou futurs sans l'accord de l'auteur.