Un canal.Texte de Pascal de Gosselin.7
Publié le 9 Juillet 2014
Premier largage. Les amarres étaient prises dans des bittes qui ressemblaient à de gros champignons marron écrasés d’un côté. Etienne les dégagea et les lança sur le pont de la péniche, puis il sauta à bord et les rangea bien en cercle comme le patron avait dit.
La péniche battit en arrière pour se dégager du quai, et lentement s’intégra dans le flux des bateaux. Elle passa presque tout de suite sous le pont de Bercy. Etienne pensa que le matin il était encore là haut. Il regarda sous l’arche, il y avait des stalactites blanchâtres qui tombaient des joints de pierre.
Il commença par nettoyer le pont à grande eau en faisant attention à ne pas mouiller les panneaux d’écoutille. Ce faisant il regardait autour de lui, les bateaux qu’on croisait, les pêcheurs sur les quais, les arbres, les immeubles : jamais il ne s’était imaginé Paris comme cela. Sur l’eau, on ne voit pas les choses de la même façon. Il repensa à la question du patron qui lui demandait s’il était prêt à quitter sa vie à terre. Il se sentit bien de l’avoir quittée, cette vie, comme un oiseau qui s’envole de sa cage.
La péniche passa le confluent de la Marne qu’on laissa à gauche, Etienne n’arrivait pas encore à dire bâbord ou tribord ! Peu après le patron l’envoya à la proue car on arrivait à l’écluse d’Alfortville, son premier éclusage. Il fallut attendre quelques minutes pour écluser car les deux sas étaient pleins. Quand les avalants sortirent, Bellestre pilota doucement vers le sas vide. Etienne sauta sur le plateau de gauche et enroula l’amarre d’avant à un bollard[1]. Il fit la même manœuvre à l’arrière.
- Attention laisse du mou, parce que ça va descendre.
- Oui Monsieur !
- Pas de ça ici, tu m’appelles patron, et toi je t’appelle Etienne, vu ?
- Tout le monde m’appelle Tinny…
- Ici tu seras Etienne.
Il n’y avait rien à y redire.
En attendant que les portes aval se referment, Etienne regardait tout autour de lui, impressionné : l’écluse donnait une sensation de gigantisme, avec ses deux bassins dont chacun pouvait contenir jusqu’à six péniches et, surplombant l’ouvrage, une véritable tour de contrôle. Il chercha à apercevoir les éclusiers, mais les vitres étaient trop loin et trop teintées.
Maintenant l’eau descendait et les amarres filaient entre ses doigts. De chaque coté il y avait deux grands murs mouillés, les bajoyers[2], couverts de petites algues verdâtres.
Les portes amont s’ouvraient maintenant :
- Lâches tout !
A l’arrière, Etienne eut un peu de mal car l’amarre s’était coincée dans une gorge faite dans la pierre par les filins métalliques des pousseurs.
Ils poursuivirent leur montée de la Seine. Etienne à côté du poste de pilotage, regardait défiler les maisons, le plus souvent des pavillons, des usines aussi. Suzanne, la patronne qu’il n’avait vu que de loin, le rejoignit. Ils se serrèrent la main. Elle avait une poigne d’homme :
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