Un canal.Texte de Pascal de Gossellin.12
Publié le 9 Juillet 2014
Bellestre leur envoya une boite de graisse et des pinceaux ; après bien des efforts les portes se refermèrent. Heureusement, les vantelles aval acceptèrent de s’entrouvrir : la vidange du bassin prit près de dix minutes.
Suzanne et Etienne durent graisser également les portes aval qui ne s’ouvraient pas non plus. Jusque là Bellestre avait gardé son calme, mais on le sentait prêt à exploser. Il leur lança :
- Vous auriez pu y penser pendant que l’écluse se vidait !
Il rentra la péniche si vite qu’elle frotta à tribord sur le mur de garde.
- Tu vas abîmer la peinture lui cria Suzanne.
- Ce n'est pas toi qui prends le pinceau alors, boucle-là !
Etienne découvrait la vraie vie de marinier avec des moments de sérénité acquise par l’expérience et d’autres, faits de coups de gueules incontrôlés, mais sans doute nécessaires.
Ils continuèrent ainsi en direction de Tonnerre. Le brouillard s’était un peu levé au dessus de l’eau, mais ils restaient prudents. Par contre il était toujours si opaque sur la terre qu’ils avaient l’impression de naviguer dans un tunnel de nuages. Suzanne dit à son mari :
- Je repense à l’écluse de Saint-Florentin, tu n’as rien remarqué ?
- A part la rouille, non !
- Tu sais, il y a un pont peint en vert au dessus.
- Oui, et alors
- Eh bien, il n’y avait pas de pont, j’en suis certaine car à chaque fois qu’il fallait manœuvrer, nous devions faire le tour par les portes amont.
- La D.D.E l’a sans doute fait démonter, ils sont toujours là quand il y a une connerie à faire, ceux-là.
Bellestre était toujours à cran.
L’écluse de Tonnerre se trouvait à 26 Kms de là. Pourtant moins d’une heure plus tard, Etienne signala une écluse dont les portes étaient encore fermées
- C’est impossible, plein comme on n’est, on ne navigue pas à plus de quatre kilomètres à l’heure, c’est dire que Tonnerre n’est pas pour tout de suite. Cela ne peut être qu’une porte de garde !
Il ajouta pour Etienne :
- C’est une porte toute seule qui permet de réguler le débit de l’eau. D’habitude elle est ouverte, alors tu ne la remarques même pas.
Etienne sauta sur la berge comme d’habitude :
- C’est une écluse !
Elle était aussi rouillée que celle de Saint-Florentin et tout aussi déserte. L’éclusage se fit plus lentement encore.
Cette fois ce fut Bellestre qui s’étonna :
- Sur le canal de bourgogne, sur le bajoyer côté maison éclusière, il y a toujours deux plaques de fonte. Elles sont peintes en bleu : sur la plus grande il y a le nom de l’écluse et sur la petite, deux flèches opposées, avec le nom de l’écluse aval et celui de l’écluse amont. Il y a même les distances. Ici, il y a bien les deux plaques, mais elles sont rouillées et il n’y a aucune indication : celle pour le nom de l’écluse est vide et au bout des flèches de la petite, il n’y a rien !
Il regarda alors sur le linteau de la porte de la maison éclusière, rien n’était gravé non plus.
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