Un canal.Texte de Pascal de Gossellin.18

Publié le 9 Juillet 2014

En approchant encore Etienne reconnut un bistrot à la peinture toute écaillée qu’il connaissait bien : c’était l’Avalant.

  • Mais, c’est l’Avalant répéta Bellestre !

Sur la vitre de la porte qu’ils poussèrent il y avait toujours ce vieil autocollant marqué Clacquesin sur un fond de petits sapins jaunes et rouges.

 

A l’intérieur, ils furent accueillis par les patrons. Ils ressemblaient à ceux qu’Etienne avait rencontrés à Paris, mais ce n’était pas eux. Pourtant la patronne l’embrassa et son mari lui donna une grosse claque entre les deux  épaules en disant :

  • Alors comment va mon petit gars ?

Bien sûr il y avait aussi nombre de mariniers dont un qui souriait sur des chicots, mais ce n’était pas non plus ceux de Paris.

 

Des questions fusèrent à l’adresse de Bellestre :

  • As-tu des nouvelles du Havre, là où tu avais laissé le Josse ?

Plus ironiquement :

  • T’as bien écouté les bielles de ton moulin cette fois, t’as pas refait le coup de Choisy au moins ?

La patronne devant ses fourneaux :

  • Aujourd’hui j’ai des pieds paquets, tout le monde en prend ?

A Etienne :

  • Toujours ton rosé et pas de coca, j’espère !

 

On était comme à Paris, le cadre, les gens, les questions, les réponses. Pourtant tout était différent, plus feutré, plus mesuré, le café ressemblait à un théâtre d’ombres chinoises avec des acteurs qui parlent derrière le décor.

 

Il y avait autres chose de différent : dans cet Avalant personne ne rentrait ni ne sortait jamais. Cette saynète n’aurait-elle pas été montée pour le seul public des mariniers de la Clotilde ?

D’ailleurs, après le déjeuner, Etienne avait voulu sortir dans la rue sans maison pour fumer une cigarette : il eut beau chercher, il ne trouva ni bouton ni porte.

Le patron qui l’avait observé lança :

  • Tu peux fumer ici, ça ne dérange pas.

 

Il pensa dire aux Bellestre qu’ils étaient prisonniers du bistrot mais il se tut car au fond cela n’avait aucune importance : ils étaient dans leur univers. Le temps pouvait passer ou ne pas passer, les patrons et les autres mariniers étaient des amis, presque des parents pour Etienne.

 

Tous les trois étaient heureux ainsi, d’un bonheur tranquille, en demi-teinte, de ces bonheurs qui durent à n’en plus finir.

 

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Rédigé par Le blog sur Chatillon sur Indre

Publié dans #Ecrivain et romancier de Chatillon

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